dimanche 15 mars 2015

Elles étaient étonnées, les mains ! Joëlle

Elles étaient étonnées, les mains !
Ce matin-là, elles étaient libres…
Blanches et libres.

La femme ne s’était rendu compte de rien.
Elle vaquait, joyeuse, légère,
Comme à l’accoutumée.
Elle n’avait pas senti
Que ses mains s’étaient dédoublées…

Libres, les mains…
Libres !!
Qu’allaient-elles faire de cette liberté ?
Elles pouvaient bien sûr se rendre utiles…
La tentation leur vint de mettre un peu de désordre et de folie dans le monde…
Se la couler douce aussi, pourquoi pas ?
Rester inactives pour une fois, s’offrir un peu de calme, de douceur…

Et puis non !
Il y avait surement mieux à faire.
Plus beau, peut-être…

Plus beau ?
Comment ? Où ? Pour qui ? Pour quoi ?

L’audace les étreignit soudain
Et elles s’envolèrent
Par-dessus le jardin,
Par-dessus les champs, les forêts…
Majestueux ce vol !
Tant de sensations nouvelles !

A l’orée du bois,
Elles se sentirent attirées,
Appelées presque,
Par une longue branche
Que d’aucuns auraient dit morte
Mais qu’elles, ressentirent plus vivante
Que tout ce qu’elles avaient croisé jusque-là…
Il émanait d’elle
Comme un creux, un manque,
Une absence, une béance,
Une solitude peut-être…
De toute l’évidence
De son silence,
La branche était invitation…

Les mains s’approchèrent…
L’air se transforma.
Le moment devint grave
Comme à l’approche d’un miracle.

Ce fut l’index de la main droite
Qui le premier osa le contact.
Délicat. Ténu.
La branche frémit,
Elle soupira d’aise.
« Enfin » susurra-t-elle.
Et ce « enfin » fut d’une pureté cristalline
Qui résonna comme un chant…

Le chant se déroula jusqu’à l’infini de son possible.
Les arbres autour
Les oiseaux autour
Se turent.

La main gauche alors, avança à son tour
Et posa le pouce sur la branche.
Un son plus grave inonda les sous-bois.
C’était
Profondément beau !

Alors les huit autres doigts s’enhardirent
Et tour à tour
Et deux par deux
Et quatre par quatre
Ils dansèrent sur l’épiderme de la branche.
Et chacun de leur appui donnait
Une note merveilleuse !...

Ils dansèrent jusqu’à s’en étourdir
Jusqu’à n’en plus pouvoir
Jusqu’à n’en plus vouloir !

Ce fut, ce jour-là, le premier concerto du monde.
Et le premier piano.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire