dimanche 15 mars 2015

Trentième représentation du concerto - Véronique

Voilà, c'est ce soir notre trentième représentation du concerto. Trente en un mois et demi!
Est-ce qu'ils sont tous à bout comme moi les autres ? Suis-je la seule à n'en plus pouvoir ?
Et toutes ces dates à venir...
J'étouffe, je manque d'air!
Et dire que Brahms a composé cette œuvre en symbiose avec la nature! Pas le temps pour moi d'aller en nature!
Johannes, désolée, je suis une usurpatrice de renommée mondiale! Le public qui est là va m'applaudir, comme tous les soirs; je saluerai humblement, mais toi et moi savons bien que je le dupe.
C'est bientôt à moi. J'entends l'orchestre qui joue les lacs, les forêts profondes allemandes, qui chante ton univers, l'univers entier et je vais attaquer les premières notes au piano. Bientôt c'est à moi...bientôt!

Depuis longtemps déjà mes doigts sont dévitalisés et ne jouent plus qu'une partition de calendrier... ... ... C'est à moi, je prends mon tour, je joue mon rôle... et, comme depuis des mois maintenant, je me dédouble, ma pensée s'évade. Depuis quand déjà ?
Quand j'étais enfant je passais des heures sur mon piano, j'y jouais, je m'amusais.
Il n'y avait pas de séparation entre le piano et moi, nous faisions corps.
Entre deux études, je passais la plupart de mon temps à écouter chanter la rivière, murmurer le vent, crépiter le feu, gronder l'orage. Toute imprégnée de cette vitalité, mon instrument n'avait alors plus qu'à accueillir le concerto du monde.
Je me souviens de mon étonnement lorsque la source à laquelle j'avais bu juste avant de jouer s'était mise à s'écouler de mes doigts pour agiter les touches nacrées du clavier. "Papa, Papa, mes mains, elles jouent toutes seules!"
C'était avant, c'était merveilleux.
On ne devrait jamais révéler les talents! Une fois qu'on les a révélés, on les fixe, sans vie, comme une collection de papillons! ... ... ...
Il faut que je me concentre sinon je vais rater le passage "molto vivace".
Allons! Molto vivace, vi-va-ce!
Ferme les yeux, retrouve le lac, imagine tes doigts dansant sur le bois flotté... Je flotte, je sens la salle qui retient son souffle.
Ca va aller...encore une fois, pour cette fois-ci tout le monde y a cru; ça passe, hum, un dernier tour de passe-passe.

Ensuite, je salue et je me sauve, je retourne à la vie!


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